Estampes 

et  Antiquités  du  Japon

Japanese  fine  Arts

日本の美術

 

 

 

Collectionner les estampes Japonaises ?

par Tamio Ikeda

 

Article publié dans le

Bulletin de l'Association Franco - Japonaise, hiver 2009 - 2010

 

 

 

" Lorsqu’à partir des années 1860, le Japon s’ouvrit au monde après plusieurs siècles de repli sur lui-même, le commerce avec l’Occident, jusqu’alors réservé à la Compagnie des Indes s’intensifia, et des œuvres d’art nombreuses arrivèrent en Europe et aux Etats-Unis.

Le public découvrit, notamment, des estampes japonaises Ukiyo-e  qui produisirent un grand effet. Par leurs couleurs et leur graphisme particulier, elles séduisirent nombre d’artistes au point d’en influencer beaucoup, et bientôt des collections commencèrent à être réunies.

Que savait-on alors de cet art singulier, et que recherchaient ces collectionneurs ? L’accroissement rapide de la demande ne fut pas sans provoquer des ambiguïtés quant à la qualité des estampes mises sur le marché.

Aujourd’hui, que devraient demander les amateurs, confrontés à la fois aux « nouvelles estampes » du Shin-Hanga et du Sosaku-Hanga , et à une connaissance de l’Ukiyo-e beaucoup plus complète qu’il y a un siècle ?

 

1/ Le contexte historique est bien connu, qui peut être rappelé en quelques phrases.

 

L’Ukiyo-e fut destinée à la classe bourgeoise constituant aux XVIIe et XVIIIe siècles, une force financière et économique dans le Japon des Tokugawa, non reconnue politiquement ou socialement.

Ecartés de la vie officielle des cités, absents de la Cour Impériale de Kyoto et de l’entourage du Shogun à Edo, ces bourgeois aisés trouvèrent dans le théâtre Kabuki un puissant dérivatif. Ils furent aussi très présents, en les fréquentant et les finançant, dans les « Maisons Vertes » des quartiers réservés : le Yoshiwara à Edo ou Gion à Kyoto.

Se développa donc ce monde particulier mêlant artisans, commerçants, écrivains, acteurs du Kabuki, belles femmes, peintres et dessinateurs. Le pouvoir politique les cantonna à certains quartiers, et leur permit ainsi de se renforcer, en vivant leurs passions en dehors du regard des autres, sans avoir à respecter les codes de la bienséance imposés ailleurs par le gouvernement des Shogun. Parce que celui-ci avait besoin de ces bourgeois qui payaient l’impôt et prêtaient sur gages aux samouraï et daimyo désargentés, il leur donnait le droit de vivre là leurs passions. Mais il considérait que ces populations ne méritaient pas pour autant une considération particulière, et que leurs dérivatifs ou les arts qu’ils soutenaient étaient d’ordre mineur. Cette appréciation a grandement joué lorsque le Japon a commencé à exporter vers l’Occident ses œuvres d’art.

Le théâtre avait besoin d’attirer les spectateurs ; il y fallait des affiches, des programmes, des images des acteurs les plus célèbres. L’estampe allait répondre à ce besoin. L’Ukiyo-e fut d’abord un média désignant ce qui était à la mode dans les théâtres et leurs quartiers. Et bien entendu, il en fut de même pour les bijin du Yoshiwara ou de Gion ; pour cela, des annuaires illustrés des « Maisons vertes » furent édités, avec les noms des lieux et des courtisanes.

Et se produisit un phénomène singulier.

Le public aurait pu se contenter de feuilles rapidement ou médiocrement éditées. Il demanda plus. Parce qu’il avait une réelle capacité financière, il pouvait s’offrir des œuvres de bonne qualité. Parce qu’il avait une curiosité d’esprit et une culture lui permettant de saisir le sens caché d’un dessin, de comprendre telle attitude d’une belle femme accompagnée de ses kamuro, ou de reconnaître le moment crucial d’une pièce interprétée par l’acteur le plus célèbre du moment, ce public exigea le meilleur de l’œuvre graphique. Il l’obtint grâce à une alchimie complexe, mêlant le génie de dessinateurs d’exception, tels Shunshô, Harunobu, Kiyonaga, Utamaro, Toyokuni, et les progrès de la technique xylographique.

Dès le milieu du XVIIIe siècle, avec l’estampe nishiki-e , et pendant l’Âge d’or , les éditeurs se sont attachés à produire le meilleur : plus de bois et donc de couleurs, parties en relief, dégradés de teintes, parfois fonds micacés, travail du baren donnant plus de vie aux images, effets d’or ou d’argent etc. Et les cercles de poètes financèrent l’édition de surimono, œuvres luxueuses parfaitement abouties.

Tout au long du XIXe siècle l’estampe japonaise continua d’être servie par des dessinateurs remarquables et des artisans graveurs sur bois et imprimeurs donnant le meilleur d’eux-mêmes. Comment serait considéré le travail d’Hokusai et d’Hiroshige, entre autres, si leurs œuvres n’avaient été remarquablement tirées, avec des bokashi (dégradés de couleurs), en utilisant les meilleures encres, dont le fameux « Bleu de Prusse », introduit au Japon au début des années 1830 ?

Outre le talent graphique du dessinateur, l’estampe japonaise, c’est d’abord des couleurs vives et une parfaite qualité d’impression. Ensuite, c’est une bonne qualité de conservation. Ces exigences s’imposent à qui veut collectionner.

 

 

Kitagawa Utamaro

(1753 - 1806)

 

 

2/ La découverte par les Occidentaux de l’estampe japonaise.

 

Des estampes japonaises avaient été importées en Europe bien avant l’Ere Meiji (1868 – 1912), mais leur connaissance fut limitée à quelques amateurs, surtout issus du milieu artistique.

Ainsi, Isaac Titzingh (Amsterdam 1745 – Paris 1812) voyageant au Japon au début des années 1810 avait acquis des livres et des estampes. Le médecin allemand Franz Siebold (1796 – 1866), arrivé à Deshima en 1823 avait rapporté des livres, estampes et objets d’art. Expulsé en 1829 parce qu’il fut trouvé en possession d’une carte de l’Empire du Japon, il se fixa à Leiden (Pays-Bas) en 1830. Une partie de ses collections fut cédée en 1836 et 1837 aux Musées de Vienne et de Leiden, et plusieurs livres (dont des exemplaires de la Mangwa d’Hokusai) et 229 estampes entrèrent dans les collections de la Bibliothèque Nationale de France en 1845.

Charles de Chassiron participa, en 1858, à la première ambassade de la France au Japon conduite par le Baron Gros, plénipotentiaire représentant l’Empereur Napoléon III, et livra ses impressions en 1861 . Si son séjour à Tokyo fut bref, et essentiellement consacré à établir les contacts avec les autorités nippones, la narration de quelques visites en ville est néanmoins intéressante. A quatre reprises Chassiron parle d’achats de pièces anciennes ou contemporaines, notamment « ivoires anciens et vieux bois sculptés » et quatre sabres. Et page 114, il note : « j’ai arraché (…) de l’étalage d’une boutique, une liasse d’estampes coloriées, de gravures et de cartes qui sont des plus intéressantes comme spécimens de l’art typographique et des notions géographiques du Japon ». Page suivante, il écrit : « J’ai pu également, cette fois avec toute facilité du fait de mon escorte officielle, me faire une collection assez complète de manuels des sciences, des arts, des métiers au Japon ; même de recueils de caricatures. Ces petits livres, imprimés ou gravés sur bois, je ne sais encore, (…) servent à l’éducation du peuple ; ils sont du plus bas prix (…) par conséquent à la portée de tous ». Le livre de Chassiron comporte treize reproductions de pages simples ou doubles des « Spécimens des manuels populaires du Japon (Fac-similé.) », parmi lesquelles plusieurs tirées de livres de Hokusai. Deux pages doubles des Cent Vues du Mont Fuji sont ainsi reproduites, mais des détails permettent d’affirmer qu’il s’agit de retirages, et non d’exemplaires originaux. Ainsi, des estampes pouvaient être achetées à Edo dès cette époque, pour un prix faible, mais elles étaient moins courantes que les objets. Par ailleurs, des retirages de livres illustrés étaient déjà mis en vente, alors qu’il est souvent considéré que ces copies ou retirages étaient plutôt le fait d’éditeurs de l’Ere Meiji.

Contrairement à une assertion assez répandue en Occident, les collectionneurs japonais avaient été suffisamment nombreux et précautionneux pour que des pièces aient été conservées tout au long des XVIIIe et XIXe siècles ; la suite a montré que ces richesses s’élevaient à des dizaines de milliers d’estampes de qualité.

Mais il est avéré que jusqu’au début du XXe siècle, si le Gouvernement japonais a entendu faire connaître et vendre à l’Occident les meilleures productions de ses artisans et artistes, il avait choisi de ne pas y faire figurer les estampes, sans doute pour les raisons rappelées plus haut : il s’agissait selon lui d’un art mineur, non représentatif de l’Empire.

Dans les années 1850 – 1860, le bazar du port de Shimoda, qui recevait des étrangers débarquant au Japon, jouissait, pour la vente d’objets d’art, d’un monopole conféré par le Gouvernement. Or, parmi les pièces susceptibles d’être proposées à la vente ne figuraient, en général, pas d’estampes. Les objets en laque et les céramiques étaient en abondance, parfois de qualité très moyenne.

Par ailleurs, aucune estampe n’a été présentée dans les pavillons officiels du Japon lors des Expositions Universelles de Londres en 1851, New York et Dublin en 1853. A Paris en 1855, c’est le pavillon de Hollande qui présenta « 18 dessins avec figures », à vendre 5 F. pièce au milieu de 80 numéros de pièces japonaises. La connaissance précise de la nature même de telles œuvres étaient alors loin d’être acquise, même pour les exposants, comme en témoignent certains inventaires de collections débutées en Occident à cette époque, où la confusion entre dessins, peintures et xylographies était courante.

En 1867, si une exposition d’estampes fut organisée lors de l’Exposition Universelle de Paris, ce fut à l’initiative de collectionneurs privés et d’institutions, comme le Musée de Lille ou l’Ecole des Langues Orientales. Le Gouvernement japonais ne présenta pas d’œuvres sur papier, et l’exposition-vente qui suivit en 1868, de 1 308 objets non vendus durant l’Exposition Universelle ne comportait donc aucune estampe. La même politique fut suivie par les autorités japonaises pour les Expositions Universelles de 1877 à Philadelphie, et de1878 à Paris et à Glasgow.

Voyant dans le commerce des objets d’art une ressource nouvelle pour le Japon, le Gouvernement contribua à la fondation, en 1874, d’une société spécialisée, la Kiritsu Kôsho Kaisha, très présente dans les salons internationaux et les Expositions Universelles, jusqu’en 1891. Elle commandait à des artisans laques, céramiques et bronzes de haute qualité, mais pas d’estampes. Son Vice-Président jusqu’en 1882 fut Wakai Kenzaburô, qui ouvrit un commerce à Paris demeuré très célèbre, et qui employa et forma Hayashi Tadamasa, lui-même ancien employé parisien de la Kiritsu Kôsho Kaisha.

Il exista donc, en quelque sorte un commerce sinon officiel, du moins institutionnalisé pour les objets d’art et antiquités, et un autre marché, pour les livres illustrés et les estampes, plus confidentiel et reposant beaucoup sur la présence au Japon d’Occidentaux en résidence ou en déplacement. Ainsi, par exemple, le magasin de Samuel Bing (1838 – 1905), à Paris, bénéficia beaucoup des envois effectués depuis Tokyo par son beau-frère Michael Martin Bear, Consul à la Légation d’Allemagne au Japon de 1870 à 1874 puis de 1877 à 1881.

Il était possible d’acheter sur place, assez aisément et pour des prix très modiques, des quantités d’objets et d’estampes. L’un des exemples les plus fameux est celui du docteur William S. Bigelow (1850 – 1926), présent au Japon de 1882 à 1889, proche d’Ernest Fenollosa et d’Ernest S. Morse avec qui il put voyager dans plusieurs régions de l’Archipel. En 1911, il fit don de 40 000 objets, livres, peintures et estampes acquis durant ces sept années, au Musée des Beaux-Arts de Boston, qui permirent à celui-ci de devenir l’un des plus importants au monde pour l’art du Japon.

 

 

Katsushika Hokusai

(1760 - 1849)

 

 

3/ Le commerce des estampes à la fin du XIXe siècle.

 

En Europe et aux Etats-Unis arrivèrent d’un coup des centaines de planches chez des marchands peu au fait de cet art. Qu’elles aient été bien ou mal tirées, bien ou mal conservées, peu de négociants et d’amateurs étaient capables de faire la différence. Le jugement sur une œuvre se fait d’abord par comparaison ; or peu d’estampes japonaises figuraient dans un musée, et pratiquement personne ne les avait vues, aucune littérature scientifique n’était à ce moment disponible.

Dans cette relative imprécision quant aux qualités des estampes importées en Europe et aux Etats-Unis, de grandes collections se sont constituées entre 1860 et 1900. Grandes, c’est à dire fortes de centaines, voire de quelques milliers de planches. La plupart ont été dispersées au cours du XXe siècle, et même dès les années 1890.

La réalité est que beaucoup de ces premiers collectionneurs furent des amasseurs d’estampes, de bonnes et moins bonnes planches, originales et copies.

A Paris, dans les années 1850 et 1860, plusieurs magasins de thé proposaient des articles du Japon avant que des boutiques spécialisées soient ouvertes . Des Grands magasins, tel le Bon Marché, vendaient également des antiquités japonaises. A la date du 8 juin 1861, Goncourt mentionne dans son journal l’achat, rue Vivienne « A la Porte Chinoise », de « dessins japonais imprimés sur du papier qui ressemble à une étoffe » . En 1862 s’ouvrit le magasin de Madame Desoye « Curiosité du Japon », qui devint un lieu de prédilection pour les amateurs et collectionneurs.

Plusieurs expositions, organisées par des collectionneurs, ou bénéficiant de prêts de leur part, furent organisées à Paris : dès 1869 au Palais de l’Industrie, en 1883 organisée par Louis Gonse à la galerie Georges Petit, en 1887 organisée par Van Gogh, en 1890 à l’Ecole des Beaux-Arts, en 1893 à la galerie Durand-Ruel. En tout cas, ces manifestations précédèrent de beaucoup celles organisées au Japon, la première exposition d’Ukiyo-e ayant eut lieu à Ueno en novembre 1892 (présentation de 153 estampes, préface du catalogue par Hayashi Tadamasa). Aussi bien, la connaissance de l’art de l’estampe grandit à partir de cette période, encore que l’absence, à l’époque, de littérature fiable conduise à relativiser l’exactitude des informations à la disposition des amateurs .

En France, à partir des années 1880, le marché passa à des mains plus expertes.

Ainsi Wakai Kenzaburô ouvrit sa galerie en 1882, et s’associa de 1886 à 1890 à Hayashi Tadamasa qui contribua puissamment au développement de ce commerce, avant d’ouvrir sa propre galerie qui devint l’une les plus célèbres de Paris. Hayashi Tadamasa, fils d’un médecin réputé, était à l’origine traducteur, et c’est à ce titre qu’il vînt en France, avant de se tourner vers le marché de l’art. Il vendit en onze années – de 1890 à 1902- plus de 150 000 planches , beaucoup revêtues du petit cachet rouge bien connu. Ce nombre apparaît presque extravagant, puisqu’il signifie que le marchand aurait vendu quarante estampes par jour pendant ces onze années.

Or, Hayashi n’était pas le seul marchand à Paris, et plusieurs de ses confrères étaient installés à Londres, Bruxelles, New York ou San Francisco. Il paraît impossible que ces dizaines de milliers d’estampes introduites en Europe et aux Etats-Unis aient toutes été originales. Il est au contraire certain que de nombreuses copies ont été vendues, qui ont figuré pour certaines dans des collections prestigieuses, et continuent à être proposées par des vendeurs ignorants ou peu scrupuleux. Une marque de vendeur ou de collectionneur portée sur une estampe signifie que celle-ci fut en Occident à cette époque ; elle ne constitue pas à elle seule une garantie d’authenticité.

Assez curieusement, beaucoup des collectionneurs, ou leurs héritiers, décidèrent de vendre leurs planches dès les années 1890. Ainsi, l’Hôtel Drouot dispersa-t-il en 1891 les collections Champfleury et Burty. A celle-ci, des prix insoupçonnés jusqu’alors furent atteints, et les mots « folies d’enchères » furent prononcés. C’est à partir de cette date que les prix pratiqués dans les ventes publiques puis les galeries s’envolèrent, et que le marché de l’art du Japon quitta la marginalité, attirant à la fois amateurs et nouveaux négociants.

D’autres grandes ventes suivirent : en 1892 la collection Appert, en 1894 la collection G. Clemenceau (essentiellement d’objets), en 1897 la collection des Frères Goncourt (373 numéros d’estampes, livres et albums), en 1899 la collection J. Télinge (183 numéros d’estampes et livres, en particulier Utamaro, Harunobu, Hokusai et Hiroshige). Au départ de Paris d’Hayashi Tadamasa, furent dispersés, en 1902, 1 767 numéros d’estampes et livres de sa collection (Samuel Bing expert de la vente ). L’année 1904 fut marquée par deux ventes très importantes, celle de l’imprimeur et éditeur Charles Gillot (1 314 numéros de livres et estampes lors de la 2e vente), et celle de l’éditeur Pierre Barbouteau qui avait vécu et édité au Japon (notamment pour Flammarion).

Le succès des ventes publiques renforça la demande ; il ne signifie pas que la qualité était toujours au rendez-vous.

Chacun sait que Vincent Van Gogh posséda un bel ensemble d’estampes japonaises, en particulier de Hiroshige. En témoignent ses peintures reprenant le Grand Pont à Edo, et le Jardin de Kameido ; la vivacité des couleurs de ces peintures tient à la palette du peintre, mais aussi au fait que les estampes achetées par Van Gogh étaient en bon état de conservation. Des encres passées n’auraient pas eu semblable effet sur l’artiste. En revanche, le Musée Van Gogh d’Amsterdam a exposé il y a peu, la série complète d’Hiroshige, du « Gojusantsugi Meisho zue » , et chacun a pu constater la médiocrité des tirages. Ni l’artiste, ni son vendeur, ne furent en mesure d’évaluer, à l’époque, la qualité réelle de ces planches.

Des estampes japonaises sans intérêt, soit des copies, soit des pièces authentiques mais mal tirées ou mal conservées – un siècle s’était déjà écoulé depuis les productions d’Utamaro- sont donc entrées dans des fonds privés qui continuent à être proposées et vendues, sans discontinuer depuis cent ans, notamment dans les ventes publiques. Et Internet a pris le relais, avec vigueur

Il ne faut pas, bien entendu, jeter le discrédit sur ces amasseurs d’estampes qui, de bonne foi ont cru réunir des ensembles de qualité. De même qu’il ne faut pas s’étonner que les personnes découvrant l’estampe japonaise à Giverny, en visitant la maison de Claude Monet, pensent que les couleurs doivent toujours être fades, et que les prairies représentées par Hiroshige n’étaient pas vertes, mais bleues. Laisser des planches près des fenêtres recevant le soleil ne peut pas ne pas avoir de conséquences.

En revanche, les amateurs français ont pu trouver un vif plaisir en visitant récemment des expositions à la Bibliothèque Nationale ou au Musée Guimet, montrant des pièces parfaitement tirées et en excellent état de conservation. C’est ce type d’estampes que les collectionneurs d’aujourd’hui doivent rechercher, et il est possible de les trouver.

 

 

Kesai Eisen

(1790 - 1848)

 

 

4/ Rechercher les meilleurs tirages.

 

Dans le catalogue de la vente Hayashi Tadamasa en 1902, l’expert Samuel Bing écrivait : «  Les réserves que le Japon recelait sont aujourd’hui épuisées ».

Ce jugement a sa part de vérité. La suite a montré que, pour beaucoup, les estampes qui se vendent depuis plus d’un siècle en Europe et aux Etats-Unis sont arrivées en Occident entre 1880 et 1900, et changent de mains en particulier à la faveur de successions. Mais il n’embrasse pas toute la réalité du marché, dans la mesure où il porte essentiellement sur les « grandes signatures », celles de Utamaro, Hokusai et Hiroshige. La demande portant très majoritairement sur leurs planches, assez peu d’entre elles sont alors demeurées au Japon. En revanche, les estampes de dessinateurs moins connus, celles montrant des acteurs du Théâtre Kabuki, moins aisément compréhensibles pour un Occidental que le portrait d’une courtisane ou un paysage, et surtout celles des artistes vivants furent peu exportées.

Si la société Ahrens avait passé un contrat avec l’éditeur Matsuki Heikichi, l’un des meilleurs de Tokyo, pour obtenir des estampes de Tsukioka Yoshitoshi (1839 – 1892), Mizuno Toshikata (1866 – 1908) ou Ogata Gekko (1858 – 1920), elle fut l’un des seuls importateurs à le faire, et ces pièces étaient plus coûteuses que les anciennes.

La focalisation de la demande en Europe sur quelques signatures conduisit quelques éditeurs japonais à se spécialiser dans la copie de leurs œuvres. Celles-ci étaient d’ailleurs produites et exportées en tant que copies, sans ambiguïté, et sans volonté de tromper. Mais une fois en Europe, la qualité exacte des planches pouvait ne pas être connue, ni annoncée aux clients.

Le plus connu est T Hasegawa, qui édita à la fin du XIXe siècle plusieurs séries de livres illustrés, sur papier crépon, consacrés aux légendes japonaises, et dont les textes étaient en français, anglais ou allemand. Dans une publicité dans le guide Murrays , il fait état de ses « Reproductions d’œuvres de

A ce titre, T. Hasegawa avait d’ailleurs été récompensé par une médaille d’or à l’Exposition Universelle de Paris en 1900 !

 

 

D’autres éditeurs eurent, et ont encore de nos jours, une importante activité de copistes d’estampes. Ainsi, par exemple, Kobayashi Bunshichi (1868 – 1923), collectionneur et marchand à Tokyo et San Francisco, éditeur de qualité des dessinateurs des années 1900-1920, qui produisit des copies notamment d’Hokusai, sans ambiguïté pour les spécialistes, car revêtues d’un petit cachet spécifique. Watanabe Shôzaburô (1885 – 1962), l’éditeur majeur du XXe siècle, protecteur du Shin-Hanga, débuta sa carrière au sein de la société de Kobayashi Bunshichi.

Les Parisiens savent qu’il y a quelques années, un éditeur de Tokyo a fait tirer à la Maison de la Culture du Japon, et pour partie devant les visiteurs, un ensemble de copies d’estampes de Hiroshige de la série « Meisho Edo Hyakkei » avec des bois récemment gravés. Là encore rien de problématique dans la mesure où un cachet particulier fut apposé dans les marges ; mais il n’est pas certain que ces planches ne se retrouvent pas en vente, quelques années plus tard, sur Internet notamment, éventuellement avec des marges partiellement coupées, et sans informations quant à leur provenance !

L’amateur d’estampes se doit en conséquence d’être particulièrement attentif lors de ses achats, même et peut être surtout au Japon, où aujourd’hui la plupart des galeries proposent à la fois pièces originales et copies, la présentation, en japonais, pouvant échapper aux voyageurs occidentaux.

L’artisanat de la copie se retrouve aussi bien entendu dans le Shin-Hanga et le Sosaku-Hanga, d’autant plus que la demande croît, alors que les tirages originaux sont faibles en nombre.

Les estampes éditées avant le grand tremblement de terre de la région de Tokyo, en 1923, parmi celles par exemple de Kawase Hasui (1883 – 1957) ou Ito Shinsui (1898 – 1972), sont les plus recherchées car les bois de l’atelier de l’éditeur Watanabe Shôzaburô ayant été détruits par l’incendie, il est certain qu’aucun retirage n’a pu être effectué dans les années 1950 – 1960, contrairement à d’autres productions. Leur prix s’en ressent évidemment fortement.

En revanche, cet éditeur ou ses successeurs ont plusieurs fois retiré d’autres estampes, généralement en apposant en marge un cachet rouge particulier ; la non-connaissance de ce cachet par un acheteur, ou la coupure dans la marge, peuvent évidemment induire en erreur. Un voyage dans le monde intrigant d’Internet montre aux personnes attentives et informées que l’artisanat de la copie demeure florissant. Mais elles savent que lorsqu’une œuvre est proposée par un site marchand (ou lors d’une vente publique) à un prix faible, la « bonne affaire » est toujours au profit du vendeur !

Il convient de savoir, aussi, que plusieurs éditeurs du Shin-Hanga ont réalisé au moins deux séries de certaines de leurs estampes : une pour le Japon, l'autre pour l'exportation, avec une numérotation différente . Parfois, la série pour l’étranger a été l’œuvre d’un second éditeur auquel le premier avait vendu ses planches. Ces estampes ne sont pas moins intéressantes, ni de moins bonne qualité, mais un puriste préférera évidemment la première série.

Le risque de faux n’existe pas avec des estampes signées par des artistes moins demandés, et l’amateur a souvent intérêt – également pour des raisons financières- à porter ses regards vers ces productions dont beaucoup sont remarquables. Ainsi par exemple avec Yamamoto Shoun (1870-1965), et sa très belle série « Ima Sugata » éditée au début du XXe siècle, qui fut « redécouvert » à la suite d’une exposition au Japon il a peu d’années. Le choix est vaste, en réalité, pour qui a envie de découvrir des planches originales d’artistes de qualité, et à des prix très accessibles. Au cours des vingt ou trente dernières années, les amateurs avaient de même redécouvert les « décadents » tels Eizan ou Eisen, puis Kuniyoshi ou Gototei Kunisada, ainsi que les précurseurs des écoles Torii et Katsukawa. Aujourd’hui, il est possible d’acquérir des planches de belle qualité, à des prix très abordables même pour des premiers tirages, d’excellents artistes comme Yoshitoshi ou Koson.

 

 

Yamamoto Shoun

(1870 - 1965)

 

 

F

 

L’estampe japonaise, ancienne ou moderne, appartient à un monde fascinant. Elle révèle une culture. Lui consacrer une collection, en ce début du XXIe siècle, nécessite plus de curiosité d’esprit que d’argent. Mais cela oblige aussi, comme pour n’importe quel art, à avoir des exigences d’authenticité et d’expertise. "

 

Tamio Ikeda

Décembre 2009.

 

 

Hashiguchi Goyô

(1880 - 1921)

 

 

 

 

 

 

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